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Député wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles

Etude du dérèglement climatique et des limites planétaires

M. Jean-Philippe Florent (Ecolo). – Nous avons pris connaissance de la carte blanche de cet enseignant de géographie dans le secondaire qui a «mis les enjeux climatiques, environnementaux et énergétiques au centre de son enseignement» et estime n’avoir pas été renouvelé dans sa fonction pour avoir fait ce choix.

Une autre carte blanche, de Guillaume Ligot, fonctionnaire et politologue de formation, repose, non sans justesse, le cadre en rappelant que les choix sur les contenus pédagogiques reviennent à l’État, dans un processus démocratique, et qu’il incombe aux enseignants de tenir compte des programmes qui balisent leur travail, tout en disposant d’une certaine souplesse pour aborder plus en profondeur l’un ou l’autre thème, pourvu que les missions essentielles soient accomplies

Je me garderai bien de commenter le cas particulier de cet enseignant. Cependant, ce témoignage fait écho à plusieurs questions relatives au dérèglement climatique et aux limites planétaires, et il fait surtout écho à d’autres débats actuels sur le rôle de notre enseignement dans le contexte de la crise écologique qui se renforce sous nos yeux. Il convient de rappeler l’étude du Forum des jeunes, en janvier 2023, ou encore la «Charte pour un enseignement à la hauteur de l’urgence écologique», signée à ce jour par 940 personnes.

Je me suis donc à nouveau penché sur les référentiels adoptés en mai 2022, notamment le référentiel de formation historique, géographique, économique et sociale. Il y a d’indéniables apports sur la question climatique, mais de nombreux pans de l’enjeu écologique restent ignorés. De plus, même la thématique du dérèglement climatique appelle certains commentaires.

Dans les attendus sur le chapitre «Géographie» du référentiel, la question de l’impact des activités humaines sur le climat n’est ainsi pas clairement énoncée, même si on la décèle de manière allusive dans l’objectif de «former des citoyens/citoyennes responsables qui habitent véritablement les lieux qu’ils utilisent, qui se sentent concernés non seulement par leur devenir, mais aussi par celui d’autres lieux qu’ils impactent par leurs comportements». Cela est très allusif.

Les manifestations du réchauffement climatique ne sont abordées qu’à partir de la sixième année primaire. C’est encore plus interpellant! Le sujet est traité «de manière à apprendre à distinguer les activités humaines qui contribuent plus ou moins à ce phénomène, dans une perspective de sensibilisation aux enjeux environnementaux qui font partie intégrante du développement durable».

La description des visées transversales concernant le réchauffement climatique interroge également: «Différents enjeux globaux sont travaillés de la P6 à la S3: réchauffement climatique, effets positifs et négatifs de l’évolution de l’occupation du sol sur l’environnement, mondialisation, vulnérabilité d’un espace face aux aléas». Le dérèglement climatique peut présenter de manière locale des «opportunités» ou des «effets positifs»; c’est indéniable. Toutefois, cette description, qui s’est sans doute voulue équilibrée, peine à décrire le dérèglement pour ce qu’il est: une menace directe sur la vie de centaines de millions de personnes vivant sur notre planète.

On pourrait aussi questionner le vocable somme toute rassurant de «réchauffement climatique». Il faudrait plutôt parler de «réchauffement climatique global» ou de «dérèglement climatique», groupes de mots plus appropriés pour souligner la brutalité du phénomène.

J’en viens à présent au grand absent des référentiels: l’étude des limites planétaires. Celles-ci ont été décrites en 2009 par plusieurs chercheurs de l’équipe de Johan Rockström de l’université de Stockholm. Le concept de limites planétaires met en avant les ressources ou les fonctionnements de notre planète; le dépassement de ces limites conduirait à un basculement des équilibres planétaires. Ainsi, neuf limites sont décrites: aux côtés du changement climatique, on peut trouver entre autres l’état de la biodiversité, les cycles de l’azote et du phosphore et l’eau douce. Avant tout, le concept de limites planétaires sert à changer de regard et à se rendre compte de la magnitude du problème. Ensuite, il sert à développer une vision systémique des enjeux écologiques, condition sine qua non pour comprendre les interactions entre biodiversité, énergie, agriculture… et développer les solutions sociétales.

Madame la Ministre, avez-vous eu l’occasion de rencontrer les porteuses et porteurs de la «Charte pour un enseignement à la hauteur de l’urgence écologique» qui formulent un certain nombre de demandes concernant le rôle crucial de notre enseignement face à ces enjeux? Quelles sont les procédures prévues pour mettre à jour les référentiels? Quel suivi est réservé aux demandes qui émanent avec de plus en plus d’insistance de la société civile ou d’enseignants? Dans quels délais est-il prévu de les mettre à jour?

De manière plus globale, quelles actions sont-elles entreprises pour satisfaire les attentes et répondre aux interrogations des jeunes sur le monde qui les entoure? Quelle place, quelle réponse donner aux mobilisations historiques des jeunes avant la pandémie? Quel cadre et quelles possibilités sont-ils offerts aux enseignants? Quelle est la «prévention» auprès des enseignants sur les limites de la neutralité?

Réponse

Mme Caroline Désir, ministre de l’Éducation. – Les responsables de la «Charte pour un enseignement à la hauteur de l’urgence écologique» ne m’ont pas demandé de les rencontrer, mais je suis disposée à le faire. De même, si j’ai pu prendre connaissance de la carte blanche du professeur de géographie, je ne dispose pas d’éléments supplémentaires concernant la situation de cette personne. Il me revient toutefois que les griefs de son pouvoir organisateur dépassent le seul cadre pédagogique du cours dont il avait la charge. Je ne commenterai donc pas davantage cette situation dans laquelle mes services ne sont pas partie prenante. Ils n’ont encore été saisis par personne.

Il me semble essentiel de prendre en considération la mesure de l’urgence de notre situation. À cet effet, il est indéniable que les référentiels du tronc commun permettent aux élèves de disposer de nombreux outils et mécanismes les amenant à devenir des acteurs pleinement conscients de ces enjeux.

Monsieur Florent, vous avez centré votre question sur le référentiel de la formation historique, géographique, économique et sociale, mais il existe également des contenus particulièrement intéressants dans les référentiels des sciences et de la formation manuelle, technique, technologique et numérique. Je rappelle que ces référentiels ont été élaborés dans une dynamique transversale. Chaque matière apporte ainsi son angle de vue et ses spécificités pour l’appréhension des différentes réalités.

À cet égard et à mon initiative, le gouvernement m’a demandé de créer un groupe de travail chargé d’élaborer un document thématique relatif à l’enseignement, à l’environnement et au développement durable, concepts centraux dans les référentiels. Ce travail est en cours et j’ai bon espoir que ce document pourra paraître avant la fin de l’année 2023. Cet inventaire exhaustif des ressources disponibles dans les référentiels permettra de montrer que l’essentiel des sujets abordés est bel et bien présent, tant sur les causes du dérèglement climatique que sur les possibilités d’y répondre, et que des éléments sont identifiés dès les compétences initiales.

Le processus de modification des référentiels n’est pas figé dans le temps, ou en fonction des échéances; il peut être entrepris dès qu’un changement s’impose, sachant toutefois qu’il implique le respect d’un parcours législatif. Par ailleurs, nous venons de faire un gros travail de refonte – le but n’est pas de les changer tous les ans. Les référentiels et à plus forte raison les programmes n’interdisent en rien de mettre l’accent sur certains aspects, tant que le cadre est respecté. N’oublions pas qu’ils ont été construits dans une logique à la fois spiralaire et transversale, suivant l’identification des essentiels, avec souvent des arbitrages difficiles. Une construction logique y est donc présente; en effet, il est nécessaire de maîtriser certains acquis pour pouvoir saisir des réalités de plus en plus complexes.

Quant aux limites planétaires, il est vrai que le concept n’est pas présent en luimême et j’interrogerai la commission à ce propos. Je n’exclus pas que ce concept ait été jugé peu opérationnel. En effet, le changement climatique est indubitablement présent dans la partie «Géographie» et dans les référentiels des sciences, tandis que la biodiversité est un thème vu lors de cinq années de tronc commun en sciences, avec une attention plus poussée sur les conséquences de l’extinction d’espèces. Le changement de l’utilisation des sols est un élément central également en géographie, en particulier en sixième année primaire, durant laquelle l’observation d’activités humaines permet de sensibiliser les élèves à la participation des citoyens dans des choix d’occupation ou d’utilisation du sol, qui contribuent plus ou moins au changement climatique. Concernant l’acidification des océans, il existe un attendu spécifique en sciences, en première année secondaire, sur l’impact du réchauffement climatique sur le niveau des océans; il me paraît pouvoir, en partie, aborder le sujet.

En sciences, il existe, entre la troisième et la sixième année primaire, plusieurs items sur le cycle de l’eau potable. Cependant, il n’existe en effet aucun contenu relatif à la perturbation du cycle du phosphore ou à l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique. Cela explique en bonne partie l’absence du concept. Sans doute sera-t-il plus indiqué d’en parler dans l’enseignement secondaire supérieur. Toutefois, nous parlons d’élèves de quinze ans maximum. Ce concept sera mobilisable quand les jeunes pourront s’appuyer sur de nombreux contenus leur offrant des clés de compréhension du concept des limites planétaires.

Les contenus des référentiels et le document thématique constitueront une accroche pertinente pour les équipes pédagogiques qui souhaiteraient se mobiliser sur ce thème. Mes services collaborent également avec des acteurs de terrain, avec des associations, comme le Réseau IDée qui figure parmi les porteurs de la charte, en vue de mettre à disposition des ressources et des formations relatives à la transition environnementale et au développement durable. Il en existe déjà un nombre conséquent, notamment sur e-classe, dont près de 25 issues des consortiums.

Enfin, les référentiels que je vous ai soumis et que vous avez adoptés ont été rédigés en toute connaissance de l’urgence climatique et avec la volonté d’être à la hauteur de l’enjeu dans toutes ses dimensions. Les travaux se sont appuyés sur les compétences de nombreux experts dans le domaine, comme des spécialistes en pédagogie. Aucun élément ne justifierait d’entreprendre un chantier de modification à peine un an après que notre Parlement a voté les référentiels.

Réplique

M. Jean-Philippe Florent (Ecolo). – Je vais prochainement rencontrer les initiateurs de la Charte. Je leur ferai part de votre disponibilité pour les rencontrer s’ils le souhaitent, Madame la Ministre.

Concernant les référentiels, les avancées sont indéniables. Il n’est pas question de les remettre en cause. Nous pouvons aborder les différentes thématiques. C’est un processus qui n’est pas figé. Ces limites planétaires, au-delà de leur aspect technique, expriment une vision plus holistique de la crise écologique dans laquelle nous nous trouvons et pour laquelle les enseignants et les enfants ont besoin d’outils de compréhension, de décodage, en termes tant scientifiques, géographiques et politiques que sociaux. Une réflexion peut être menée. Les connaissances scientifiques permettant de répondre au réchauffement climatique et à la crise écologique s’étoffent rapidement. L’état des connaissances s’est profondément consolidé depuis quelques années. Il est donc de notre devoir de rester attentifs à ces évolutions scientifiques qui permettent de fonder un savoir utile pour les enfants.

Date de la question parlementaire
Ministre
Caroline Désir