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Député wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles

Attractivité du métier d'enseignant et la précarité des enseignants débutants

M. Jean-Philippe Florent (Ecolo). – Nous connaissons une pénurie structurelle d’enseignants, souvent évoquée dans notre commission, et nous observons par ailleurs une aggravation conjoncturelle de cette pénurie après les congés d’hiver. Les enfants perdent ainsi de très nombreuses heures et des années entières de cours faute de professeur.

Paradoxalement, de nombreux nouveaux enseignants connaissent une certaine précarité d’emploi dès lors qu’ils doivent souvent jongler entre plusieurs implantations, comme le relève Sandrine Lothaire, docteure en sociologie de l’UMONS, dans le journal «Le Soir» du 7 janvier dernier. Cette affirmation est corroborée par de nombreux témoignages de terrain. Mme Lothaire évoque notamment le fait que le système de régulation des carrières en Fédération Wallonie-Bruxelles favorise la stabilité professionnelle des enseignants nommés dans le réseau officiel ou engagés à titre définitif dans le réseau libre, au détriment des enseignants temporaires qui viennent de commencer ou des enseignants temporaires prioritaires qui ont acquis quelques années d’ancienneté.

Je voudrais également revenir sur les réflexions d’Andreas Schleicher, qui pilote l’enquête du Programme international pour le suivi des acquis (PISA) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il pose un regard éclairant sur l’évolution des systèmes d’éducation au sein de l’OCDE et sur le système d’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles. Concernant l’attractivité du métier d’enseignant en Belgique francophone, M. Schleicher estime qu’au-delà de l’aspect salarial, c’est sur la place de l’enseignant dans le système qu’il conviendrait de s’interroger pour donner plus de sens, notamment aux futurs enseignants. Il cite l’initiative britannique «Teach First» qui semble être devenue le premier canal de recrutement au Royaume-Uni. Cette initiative permet la valorisation de l’expérience professionnelle en dehors de l’enseignement.

Elle permet aussi à des profils extérieurs à l’enseignement de s’essayer à la profession d’enseignant en donnant quelques heures de cours, moyennant une courte formation préalable. Le site internet de cette initiative est explicite sur l’importance sociétale de l’enseignement.
Madame la Ministre, quelle est la situation actuelle de la pénurie des enseignants? Avez-vous des retours du terrain quant aux postes vacants en cette rentrée de janvier? Quelles actions avez-vous entreprises pour améliorer le dispositif «Pourquoi pas prof?», le rendre plus attractif et porteur de sens? L’initiative «Teach First» vous inspire-t-elle?

Quelles mesures prenez-vous pour diminuer la précarité de l’emploi des enseignants débutants? Comment prévenez-vous le départ des jeunes enseignants qui abandonnent prématurément le métier? Il s’agit d’un véritable gâchis, non seulement vis-à-vis de l’investissement qu’a nécessité leur formation, mais aussi pour le système d’enseignement dans son ensemble. Quelles sont les solutions possibles pour endiguer ces départs des jeunes professeurs? Quels sont les retours du projet expérimental de pool de remplacement? Qu’en est-il de son éventuelle généralisation?

Par ailleurs, comme Mme Schyns, je plaide pour une réforme du mécanisme de nomination des enseignants, qui est encore organisé par réseau. Ne serait-il pas temps de dépasser ce cloisonnement afin de garantir une entrée dans le métier beaucoup plus stable et sereine pour les jeunes enseignants? Existe-t-il des réflexions à ce sujet, notamment avec les représentants de l’enseignement? Par exemple, les nominations pourraient concerner un bassin plutôt qu’un réseau. Quelles sont les pistes envisagées pour décloisonner les réseaux au profit de la carrière des enseignants?

Réponse

Mme Caroline Désir, ministre de l’Éducation. – Mesdames et Messieurs les Députés, ayant reçu les mêmes retours du terrain que vous, je suis consciente que la situation n’est pas facile dans les écoles en cette rentrée de janvier. Ce n’est une surprise pour personne qu’au cœur de l’hiver, les écoles sont confrontées, comme tous les secteurs, à une augmentation des cas de maladie chez leurs enseignants. À cela s’ajoute la difficulté de recruter des remplaçants, parfois pour des intérims de courte durée.

Je rappelle que le pouvoir régulateur ne dispose pas, à ce jour, de données nous permettant d’établir un monitoring systématique des postes pourvus ou non liés à l’absentéisme ou la pénurie d’enseignants. Les informations en ma possession sont celles transmises par Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE) et les fédérations de pouvoirs organisateurs; ces acteurs les établissent selon des modalités et un calendrier qu’ils déterminent eux-mêmes, en évitant d’alourdir encore la charge administrative des directions dans des moments souvent déjà compliqués pour elles. À la fin du mois de novembre, j’ai communiqué les informations que j’ai reçues à ce sujet, et je ne manquerai pas de le faire à nouveau dans les prochaines semaines, lorsque les acteurs de l’enseignement m’auront transmis leurs données.

En attendant, le monitoring de la paie des enseignants fait déjà émerger, pour les mois de novembre et de décembre, une tendance à la hausse des engagements pour remplacements de maladie: 599 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires ont été remplacés par rapport à l’année précédente à la même période. Cette augmentation montre à tout le moins que, même si cela s’avère parfois très compliqué et même si les solutions ne sont pas toujours idéales, les pouvoirs organisateurs continuent de trouver des possibilités de remplacement. Cela est d’autant plus notable qu’au vu des mesures de recrutement supplémentaires opérées dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence, le nombre global des membres du personnel engagé continue d’augmenter. Entre 2019 et 2022, nous sommes ainsi passés de 85 937 à 89 168 ETP rémunérés. Je ne dispose pas encore de chiffres définitifs pour 2023. Ces constats n’enlèvent évidemment rien à la réalité de la pénurie, particulièrement marquée dans certaines régions ou fonctions, ni bien sûr à la nécessité de continuer à agir pour contrer ce phénomène.

La pénurie qui touche la Fédération Wallonie-Bruxelles amène, bien légitimement, des candidats et candidates jeunes et moins jeunes à faire le choix de se tourner vers la carrière d’enseignant. Il est donc compréhensible que certains et certaines soient surpris de ne pas avoir accès, dès le début, à un poste aussi stable que celui auquel ils s’attendaient.

C’est la raison pour laquelle nous avons adopté, au mois de juillet 2020, une série de mesures visant à stabiliser plus rapidement cette catégorie de membres du personnel et à leur donner plus rapidement accès à un statut protégé. En décembre 2022, ces mesures ont été complétées par d’autres, notamment la prise en considération dans l’ancienneté de service de toutes les expériences passées dans l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles, que ce soit dans l’enseignement organisé ou subventionné. En effet, avant l’adoption de cette mesure, comme l’indique l’une des enseignantes interrogées dans l’article que vous évoquez, Monsieur Kerckhofs, le calcul d’une partie de l’ancienneté permettant d’accéder à la nomination était effectivement cloisonné par réseau d’enseignement. Il y a donc eu des avancées significatives sur ces questions sensibles. Il appartiendra au prochain gouvernement de poursuivre ce travail en fonction de sa déclaration de politique communautaire.

Dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence, des moyens budgétaires ont également été dégagés pour permettre le développement de la carrière en trois étapes. Les membres du personnel expérimenté peuvent ainsi, dans ce cadre, servir de référent à l’accueil des enseignants débutants et les accompagner dans leur insertion professionnelle. Le choix des missions collectives à l’école relève des prérogatives des pouvoirs organisateurs après avis des organes de concertation de base.

Monsieur Vossaert, sur un total de 6 891 périodes professeurs accordées aux écoles secondaires au cours de l’année 2022-2023, 6 782 ont été utilisées pour ces missions collectives et 413 ont été affectées à des référents pour les membres du personnel débutant. Dans l’enseignement fondamental, ce nombre s’élève à 445 sur un total de 7 339 périodes octroyées aux écoles.

La réforme de la formation initiale des enseignants (RFIE) vient seulement d’entrer en vigueur. Il est donc encore trop tôt pour en évaluer le contenu et le modifier le cas échéant. D’ailleurs, la RFIE s’accompagne d’un stage de longue durée qui doit précisément permettre aux futurs enseignants d’expérimenter davantage leur métier avant leur entrée en fonction. La Commission de coordination de la formation initiale des enseignants, de l’enseignement obligatoire, de promotion sociale et secondaire artistique à horaire réduit (COCOFIE) travaille actuellement de manière proactive sur les modalités opérationnelles de ce stage de longue durée.

Outre la question du taux d’attrition des enseignants débutants, il faut également pointer celle de la FIE. Le chiffre très souvent avancé d’un enseignant sur trois quittant le métier dans les cinq premières années doit être nuancé. En effet, le taux d’abandon du métier est trois fois plus élevé pour les enseignants sans titre pédagogique que pour ceux qui sont en possession d’un titre après cinq années dans la profession, d’où la nécessité d’avoir une formation adaptée.

Contrairement à ce que vous affirmez, Madame Schyns, le pool de remplacement créé en 2022-2023 – et prolongé dans les mêmes conditions depuis la rentrée de l’année scolaire en cours – a fait l’objet d’une première évaluation en avril 2023 et d’une deuxième en octobre dernier. Le premier des deux rapports a d’ailleurs été transmis au Parlement en juillet dernier et le deuxième est en cours de finalisation. Quoi qu’il en soit, les évaluations du dispositif durant l’année scolaire 2022-2023 et les premiers mois de l’année 2023-2024 ont démontré que les acteurs de terrain qui y participent en sont majoritairement satisfaits

Le rapport d’évaluation d’août à septembre 2023 a mis en évidence plusieurs éléments. Tout d’abord, tous les dispositifs du pool 2022-2023 ont renouvelé l’expérience en 2023-2024. Au final, un peu plus de pouvoirs organisateurs et d’écoles participent au pool cette année, surtout dans la zone de Bruxelles. L’année scolaire passée, on dénombrait 10 pouvoirs organisateurs porteurs contre 14 aujourd’hui. En 2022-2023, le budget alloué permettait d’engager 48 ETP. Sur la base des annexes reçues par les services du gouvernement, les pouvoirs organisateurs avaient la possibilité de recruter 20 ETP, mais, finalement, seuls 11 membres du personnel avaient été réellement recrutés. En 2023-2024, le budget alloué permet toujours de recruter 48 ETP, mais, à la différence de 2022-2023 – année durant laquelle les recrutements ne pouvaient se faire qu’à partir du 1er décembre 2022, ce qui avait partiellement plombé le dispositif –, il était cette fois possible d’engager des membres du personnel pour le pool dès le début de l’année scolaire 2023-2024. Sur la base des annexes reçues au 31 octobre 2023, les pouvoirs organisateurs ont la possibilité de recruter 27 ETP. Au 31 octobre, 17 membres du personnel avaient été réellement recrutés. Il existe donc une différence de 10 ETP par rapport au potentiel de recrutement, mais, en théorie, ceux-ci pourraient encore être recrutés d’ici la fin de l’année scolaire.

Les points forts identifiés par les enseignants du pool restent inchangés par rapport à l’année scolaire 2022-2023. Pour rappel, il s’agit du sentiment d’être utile, de vivre une expérience enrichissante, de jouir d’une certaine stabilité, de disposer d’une charge de travail allégée et d’un emploi attractif à court ou à long terme.

Sur la base de ces éléments, j’ai proposé au gouvernement de prolonger le dispositif expérimental pour l’année scolaire 2024-2025, renouvelable une fois dans les mêmes conditions, afin de permettre au dispositif de poursuivre son déploiement avant d’envisager son élargissement à d’autres zones et à d’autres niveaux d’enseignement. La décision d’élargir ou pas reviendra in fine aux négociateurs de la prochaine majorité.

J’ai demandé à mon administration de dresser, sur la base des données de la paie, le bilan de la mesure de valorisation de l’ancienneté pécuniaire pour les maîtres de seconde langue de l’enseignement fondamental dans les prochains mois. En effet, les données brutes du salaire ne me permettent pas d’en évaluer les effets.

Parallèlement à ces dispositions décrétales, d’autres mesures ont été prises, dont la campagne de valorisation et de promotion du métier d’enseignant et un rapprochement entre les services régionaux chargés de l’emploi et l’Administration générale de l’enseignement (AGE). Les dernières données chiffrées de la campagne mettent en évidence le succès rencontré par les témoignages d’enseignants ou de personnalités et le site www.enseignerplusquunmetier.be. Les vidéos des ambassadeurs et enseignants ont rassemblé presque deux millions de vues. Le nombre total de personnes différentes touchées sur Facebook et Instagram dépasse 400 000. Plus de 38 000 clics ont été enregistrés vers le site d’information ciblant les personnes intéressées par le métier d’enseignant. Plus spécifiquement, environ 250 000 personnes ont été touchées sur Snapchat avec un focus sur l’orientation vers les études d’enseignant.

Le rapprochement et la collaboration entre Actiris et le FOREM, d’une part, et l’AGE, d’autre part, ont permis d’organiser des séances d’information et des actions ciblées sur les métiers de l’enseignement, tant à Bruxelles qu’en Région wallonne. Ces actions sont en voie de pérennisation. Par exemple, le 29 janvier prochain, se déroulera à la cité des métiers un «job day» permettant aux demandeurs d’emploi de rencontrer des représentants de pouvoirs organisateurs émanant tant de l’enseignement organisé que de l’enseignement subventionné

Le groupe de travail qui a réuni les acteurs institutionnels de l’enseignement a permis de dégager des pistes d’actions complémentaires, dont certaines font désormais l’objet d’un avant-projet de décret qui a été adopté en première lecture par le gouvernement le 30 novembre 2023 et soumis aux négociations réglementaires. Il s’agit de la création d’un statut d’expert dans l’enseignement obligatoire, à l’instar de ce qui est mis en œuvre dans l’EPS, de la prolongation du pool de remplacement ainsi que des aménagements visant à simplifier la passation des jurys du certificat d’aptitudes pédagogiques (CAP), notamment pour des candidats et candidates déjà en fonction.

Concernant les modalités de réintégration d’une fonction dans l’enseignement pour les membres du personnel en DPPR qui le souhaitent, une disposition leur permettant de poursuivre leur activité d’enseignant a été préparée, mais il existait un risque que, dans certains cas, ces personnes soient mieux rémunérées qu’un membre du personnel poursuivant sa carrière. Ladite mesure a donc été retirée à ce stade. Cependant, les travaux avec les services chargés des pensions se poursuivent malgré les obstacles rencontrés dans la recherche d’une voie permettant une reprise de service, même partielle, pour les membres du personnel ayant choisi de prendre une DPPR, un dispositif qui a été conçu dans son principe comme étant irréversible.

Enfin, l’amélioration et la simplification de l’application Primoweb afin de garantir une information de qualité, ergonomique et lisible pour un large public d’utilisateurs sont bien inscrites dans les projets à développer par l’ETNIC, mais le calendrier de la mise en œuvre de cette mesure n’a pas encore été acté.

Depuis le début de mon mandat, je n’ai pas cessé de lutter contre la pénurie des enseignants. Le prochain gouvernement en fera plus que probablement une de ses priorités. Il s’agit évidemment d’une nécessité absolue. Ma conviction est qu’il faudra, dans les cinq années à venir, continuer à prendre régulièrement des mesures de différents ordres dans la continuité de celles que nous avons déjà prises. Nous n’arriverons en effet à bout de ce problème qu’en inscrivant le travail sur le long terme tout en agissant de front sur différents niveaux, de l’attractivité du métier à l’amélioration des conditions de travail, en passant par un meilleur soutien professionnel aux enseignants et enseignantes, ainsi que par une simplification des outils administratifs.

Le gouvernement a enregistré de réelles avancées dans la lutte contre la pénurie des enseignants. Il a effectivement tenu la plupart des engagements de la DPC et est même parfois allé au-delà. Le combat doit néanmoins continuer, dans un contexte où la pénurie de personnel s’est accrue dans tous les secteurs d’activités et frappe plus ou moins fortement l’enseignement dans tous les pays membres de l’OCDE.

Réplique

M. Jean-Philippe Florent (Ecolo). – Madame la Ministre, je vous remercie pour vos nombreux éléments de réponse. Cependant, je ne vous ai pas entendue sur les mesures concernant la question des nominations par réseau et les réflexions de l’OCDE sur l’attractivité en Fédération Wallonie-Bruxelles.

La pénurie d’enseignants et la difficulté des nouveaux professeurs à débuter leur carrière constituent un véritable obstacle à l’amélioration significative des apprentissages en Fédération Wallonie-Bruxelles et nous devons en prendre la pleine mesure. Convenons que, malgré les nombreuses initiatives prises par le gouvernement, ce problème reste à ce jour largement présent et aigu.

Nous connaissons la difficulté d’y répondre, mais, au vu de la récurrence de ce dossier dans nos discussions et de la multitude de questions qui s’y rapportent, le débat doit s’inscrire dans une perspective plus large que des questions ou des interpellations. Il devrait par exemple être nourri par des auditions d’acteurs de terrain au sein de notre commission. De telles auditions permettraient aux directions et fédérations de pouvoirs organisateurs de partager les solutions qu’ils entrevoient. Je soumettrai cette proposition plus formellement dans quinze jours, en espérant que mes collègues la soutiendront étant donné l’importance de cette problématique dans la vie et le parcours des élèves, et dans la perspective de préparer les mesures nécessaires lors de la prochaine législature.

Date de la question parlementaire
Ministre
Caroline Désir