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Député wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles

Intervention de la police dans une école de Nalinnes suite à des accusations de racisme

M. Jean-Philippe Florent (Ecolo). – La semaine passée, un grave incident a eu lieu dans une école primaire de l’enseignement spécialisé à Nalinnes. Un enfant de 9 ans a été maîtrisé et maintenu au sol par la police. Selon les informations qui circulent, c’est la direction de l’établissement qui aurait appelé la police afin de «calmer» l’enfant. La maman, appelée sur les lieux, a en partie filmé la scène. L’enfant de 9 ans affirme s’être énervé à la suite d’une série d’insultes racistes. Lui et sa maman sont très choqués par cet événement, ce qui est compréhensible.

Madame la Ministre, loin du sensationnalisme, il me semble important de vous interroger sur les différents éléments problématiques de ce grave incident. Il y a, tout d’abord, les insultes racistes. Il y a ensuite la gestion de la violence dans un établissement spécialisé. Enfin, il y a l’intervention de la police au sein d’une école.

Tout d’abord, j’évoque les insultes racistes. Le jeune Mathis aurait reçu, à plusieurs reprises, de graves insultes racistes qui seraient à l’origine de sa réaction. Le racisme est inacceptable, à l’école comme ailleurs dans la société. Avez-vous des éléments concrets sur ces faits de racisme que rapporte l’enfant? Quels outils sont à la disposition des équipes pédagogiques pour répondre à ce genre de situation? Ces outils ont-ils été utilisés dans ce cas-ci? Dans l’affirmative, sont-ils suffisants?

Ensuite, concernant la gestion de la violence dans les établissements d’enseignement spécialisé. De quel type d’enseignement s’agit-il dans cet établissement? Les enfants porteurs de handicaps ont parfois des réactions violentes, bien malgré eux, et cela peut parfois donner lieu à des scènes impressionnantes. Toutes les personnes en contact avec ces enfants le savent et certaines ont déjà vécu des expériences de crise difficiles. Comment les équipes sont-elles outillées sur cette question spécifique? Quelles balises encadrent leur réaction face à un enfant en perte de contrôle? Dans le cas qui nous occupe, pourquoi l’équipe présente n’a-t-elle pas pu intervenir? De quels moyens disposent les encadrants, en dehors de la police, quand ils se sentent débordés?

Enfin, l’intervention de la police en milieu scolaire. Il est très peu commun de voir la police débarquer dans une école, de surcroît pour maîtriser un enfant. Dans quels cas la police peut-elle, ou pas, intervenir dans une école? Cela arrivet-il souvent? Dans quel genre de situation? Pourquoi l’école a-t-elle fait appel à la police dans le cas de Mathis? Cette réaction semble hautement disproportionnée. La méthode et l’attitude des policiers apparaissent, selon les images disponibles, pour le moins problématiques. Avez-vous communiqué avec les services de police à ce sujet?

Comment vos services suivent-ils cette situation malheureuse? Avez-vous pris contact avec Mathis et sa famille, d’une part, et avec la direction de l’établissement, d’autre part? Le Délégué général aux droits de l’enfant (DGDE) vous a-t-il contactée au sujet de cette affaire?

Réponse

Mme Caroline Désir, ministre de l’Éducation. – Mesdames et Messieurs les Députés, ce dossier vous touche tous énormément et cela se ressent dans le ton de vos questions. C’est mon cas aussi et j’espère que vous le ressentirez dans le ton de ma réponse également.

Les faits qui se sont déroulés le 5 septembre dernier ont eu lieu à l’école primaire d’enseignement spécialisé de Nalinnes qui organise notamment un enseignement de type 3, c’est-à-dire un enseignement qui accueille des élèves présentant des troubles du comportement et de la personnalité.

Dès que nous avons eu connaissance de ces faits via les réseaux sociaux, mon équipe a pris contact avec les services de WBE, qui est le pouvoir organisateur de l’école en question. WBE a d’ailleurs ouvert une enquête interne afin de faire toute la lumière sur l’affaire. De mon côté, j’ai interpellé plus formellement WBE afin d’obtenir un rapport officiel sur le déroulement exact des faits, et ce, avant, pendant et après l’intervention de la police.

À ce stade, n’ayant pas encore reçu ce rapport officiel dans son entièreté, vous comprendrez que je devrai prendre certaines précautions oratoires, d’autant que j’ai moi-même discuté longuement au téléphone avec la maman de Mathis et avec Mathis lui-même. Par ailleurs, comme vous, j’ai reçu la communication de WBE telle qu’elle a été publiée par voie de communiqué de presse.

Selon les premiers éléments qui m’ont été communiqués sur la base des témoignages des membres du personnel présents sur place au moment des faits, le point de départ serait une dispute violente entre Mathis et un autre élève de 9 ans. Au cours de cette dispute, des propos racistes auraient réciproquement été échangés entre eux. Je dois noter ici que la maman de Mathis, sur la base du récit de celui-ci, n’a pour sa part connaissance que d’insultes racistes qui ont été proférées à l’encontre de Mathis et dont il a été la victime. Il convient de clarifier ces faits, mais cela n’ôte rien au caractère inacceptable de tout type d’insultes racistes.

Mathis est ensuite entré dans une crise de colère aiguë que le personnel présent sur place n’a pas réussi à canaliser malgré de multiples tentatives, et ce, pendant près de deux heures. Craignant qu’il ne se blesse ou qu’il ne blesse d’autres enfants, et vu l’impossibilité pour la maman de Mathis de venir le récupérer à ce moment-là, la direction a finalement décidé de faire appel à la police.

La procédure à suivre dans ce type de situation tout à fait exceptionnelle – je n’ai jamais été confrontée à une telle situation depuis que je suis ministre – est reprise dans la circulaire 5643 du 4 mars 2016 intitulée «Mesures de contention et d’isolement dans l’enseignement». Si cette circulaire comporte 18 pages, elle n’en est pas pour autant très précise. Elle comprend une série de conditions à respecter et autorise les mesures de contention et d’isolement en dernier recours. Selon des témoignages dont je dispose à ce stade, les balises de cette circulaire qui permettent d’appeler la police auraient été respectées avant l’appel à la police. À nouveau, j’attends de recevoir le rapport définitif de WBE à ce sujet.

A priori, c’est donc la phase durant laquelle la police est intervenue qui doit ici retenir notre attention. À cet égard, tout comme vous, j’ai vu sur les réseaux sociaux les images d’un policier contenant Mathis plaqué au sol, un genou dans le dos. Cette posture rappelle indéniablement le meurtre de George Floyd. Je ne ménagerai pas mes mots à ce sujet: j’ai trouvé ces images absolument choquantes. Je comprends donc parfaitement la vague d’indignation qui a suivi. Je comprends également le choc ressenti tant par Mathis que par sa maman, ce dont je leur ai personnellement fait part lors d’un entretien téléphonique.

Plusieurs questions se posent dans cette affaire. Est-il possible d’en arriver à des situations où le personnel qualifié n’est pas en mesure de maîtriser un enfant de 9 ans dans une école spécialisée de type 3? La situation est sans doute exceptionnelle, mais selon l’expérience du secteur, il peut arriver qu’on ne parvienne pas à maîtriser une crise de colère violente, même d’un enfant de 9 ans.

Est-il possible d’en arriver à devoir appeler la police dans ces circonstances? Oui, cela peut arriver. De nouveau, cela est exceptionnel. Les conditions sont bien délimitées par la circulaire de 2016 et doivent être respectées.

Était-il nécessaire pour la police de maintenir Mathis au sol un genou dans le dos avec toute la charge symbolique que cela représente et que toute personne ne peut aujourd’hui ignorer? Personnellement, je ne vois pas ce qui pourrait le justifier.

Il s’agit d’événements que je ne souhaite voir dans aucune école, ni aujourd’hui ni demain. Dans cette perspective et après la rencontre avec plusieurs associations, j’ai décidé d’écrire à la ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden, pour l’alerter sur l’affaire et lui proposer une rencontre afin d’identifier des solutions pour éviter que ce genre de situation ne se reproduise. Il m’apparaît en effet nécessaire d’ouvrir rapidement un chantier visant à cadrer les interventions policières en milieu scolaire en associant les différents acteurs concernés, et notamment le DGDE.

Sur le plan judiciaire, de nombreuses incertitudes perdurent également. Il m’est revenu qu’une plainte aurait été déposée par la police contre Mathis et sa maman, mais je n’ai aucune confirmation de cette information et je ne suis d’ailleurs pas compétente en la matière. En outre, je ne sais pas non plus si la famille a finalement de son côté décidé de saisir le Comité permanent de contrôle des services de police (Comité P).

Pour le reste, ma principale préoccupation à présent est le parcours scolaire et personnel de Mathis. Tout doit être mis en œuvre pour que Mathis et sa maman soient pris en charge psychologiquement par des professionnels compétents. D’après mes dernières informations, c’est bien le cas. Un traumatisme de cette nature doit en effet être suivi sur le long terme. Mathis doit pouvoir poursuivre sa scolarité le plus rapidement possible et dans les meilleures conditions possibles.

Selon les informations qui m’ont été communiquées, le centre PMS a eu des contacts avec la maman et a pu la rencontrer afin de l’entendre et d’envisager avec elle les différentes solutions. Différentes possibilités lui sont ouvertes: elle peut décider de maintenir Mathis dans l’école ou non. Il est important que WBE collabore activement avec la famille et lui apporte toute l’aide nécessaire. Aux dernières nouvelles, un nouvel établissement spécialisé pouvant accueillir Mathis a été identifié et un rendez-vous avec la direction devait avoir lieu ce matin.

Je vous assure que je serai évidemment attentive à tout élément neuf qui apparaîtrait dans ce dossier, notamment dans le cadre de l’enquête ouverte au sein de WBE, et que je veillerai au bon suivi des démarches initiées. Plus globalement, je tiens à rappeler mon engagement et celui de la Fédération WallonieBruxelles dans la lutte contre le racisme et les discriminations.

Un de nos décrets prévoit l’organisation de campagnes de lutte contre le racisme au minimum tous les deux ans. Nous avons inscrit dans les nouveaux référentiels du tronc commun des attendus précis visant à faire de la lutte contre le racisme un enjeu abordé de manière structurelle dans le parcours commun de tous les élèves. Je ne mentionne ici que quelques initiatives sans être exhaustive pour bien souligner que le racisme n’a en aucune manière sa place dans les écoles, pas plus que dans la société.

Je voudrais encore ajouter que j’invite toute personne victime de racisme dans l’enceinte de l’école à déposer plainte d’abord auprès de la direction de l’établissement et, en l’absence de suivi, toujours auprès de la Direction générale de l’enseignement obligatoire (DGEO). Un suivi sera alors systématiquement assuré auprès du pouvoir organisateur concerné; je m’y engage.

Réplique

M. Jean-Philippe Florent (Ecolo). – Dans un premier temps, j’aimerais me concentrer sur les faits tels que vous les avez relatés, avec les informations à votre disposition et les précautions dont vous avez fait preuve. Vos services ont pris contact avec WBE et vous attendez toujours un rapport plusieurs jours après l’événement; ce délai me pousse à vous questionner. Vous avez aussi été en contact avec la famille de Mathis. Je salue cette démarche, car il était important que ces derniers soient écoutés par la représentante de notre enseignement.

Vous avez rappelé qu’une intervention policière est possible dans certains cas, mais, fort heureusement, de manière exceptionnelle. Les images laissent apparaître une intervention disproportionnée, inacceptable et très problématique. Ce que je trouve aussi très problématique, c’est que ces situations inacceptables sont révélées grâce aux images filmées par une personne présente. En d’autres termes, quand il n’y a pas d’images, il n’y a qu’une seule version. Je m’interroge beaucoup sur ce point.

Je tiens à rappeler au sein de notre assemblée que le racisme n’a pas sa place dans nos stades de foot, dans nos écoles, dans notre société en général. Nous ne devons jamais banaliser et minimiser l’impact de ces «petits» incidents – qui ne sont en fait pas «petits» – sur le développement d’un enfant. Je n’ai pas connu de faits de racisme ou de discrimination, mais j’en suis tout de même heurté. Je témoigne de ma très grande solidarité avec les personnes qui les vivent au quotidien. Cela n’est pas acceptable et notre société doit être solidaire.

À présent, il importe d’organiser la réparation due à cet enfant et à sa famille. C’est cela qui doit nous guider: quelles sont les meilleures solutions? D’abord, la justice doit élucider l’intervention de la police. Ensuite, notre système d’enseignement doit poser un regard bienveillant sur ce qu’ont vécu Mathis et sa famille.

Date de la question parlementaire
Ministre
Caroline Désir