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Député wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles

Le retour en arrière de la BCAE5 vers le mécanisme R10/R15

Monsieur le Ministre, en séance plénière du 28 juin, vous avez annoncé que, suite au refus de la Commission européenne d’octroyer une période transitoire pour la mise en place du plan Antiérosion wallon, vous privilégiez à présent un retour au mécanisme R10/R15. Vous précisiez toutefois qu’il s’agirait d’un mécanisme R10/R15 « amélioré ». Cette proposition de retour en arrière est-elle prise en concertation avec la cellule Antiérosion, qui travaille depuis des semaines à corriger les imperfections de la cartographie ? Cela signifierait-il que cette cartographie serait purement et simplement abandonnée ? Quelles seraient concrètement les améliorations au mécanisme R10/R15 ? Comment concilier la nécessaire adaptation des pratiques culturales au risque accru d’inondations pluviales et l’abandon du plan Antiérosion prévu dans la nouvelle PAC ? Les retours de terrain ont largement démontré que le système R10/R15 basé uniquement sur la pente ne ciblait pas correctement les zones à risques. La Commission européenne a publié ce 5 juillet une proposition de directive sur le suivi des sols afin de protéger, de restaurer les sols et de veiller à ce qu’ils soient utilisés de manière durable. Cette proposition se base sur un modèle multifactoriel qui intègre des caractéristiques telles que l’érosivité des pluies, le climat, les sols, la topographie. Bref, c’est le système que nous avons voulu mettre en place au sein de la PAC. En revenant au système R10/R15 qui a montré ses limites, vous prendriez un risque de faire comme la Procession d’Echternach, à savoir un pas en avant et deux en arrière. Il serait sans doute remis en cause dans quelques années par l’Union européenne. Est-ce alors dans l’intérêt des agriculteurs ? Qu’en pense l’administration ? Est-elle favorable à cette remise en question du système BCAE 5 ? Enfin, la décision de la Commission européenne concernant le refus de la période transitoire est-elle irrévocable ? Un recours est-il possible ? 3 26 Qu’avez-vous précisément voulu négocier avec la Commission ? Vous vous étiez exprimé au Parlement en faveur d’une période de deux ans. Nous la trouvions tout à fait raisonnable et normale. Est-ce bien cela qui a été plaidé auprès de la Commission européenne ? Nous sommes parfaitement conscients des soucis opérationnels importants posés par certains volets opérationnels du système BCAE 5. C’est la raison pour laquelle le groupe de travail Antiérosion a été créé, pour s’attaquer aux incohérences détectées sur le terrain. Nous plaidons également pour un meilleur accompagnement à la mise en œuvre pour les deux années de transition prévues. Il est regrettable que la Commission européenne ne valide plus la période transitoire, mais une remise complète de la BCAE 5 serait, à nos yeux, une erreur stratégique ; pour les agriculteurs aussi. Un énième changement est loin d’être idéal, car ils ont besoin de prévisibilité, de stabilité. Il faut trouver une troisième voie, non pas une BCAE 5 sans amélioration, non pas non plus un retour au régime R10/R15, même amélioré, mais une BCAE 5 améliorée. Peut-on vous appeler à une certaine créativité pour trouver les bonnes solutions ?

Réponse

M. Borsus , Ministre de l’Économie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l’Innovation, du Numérique, de l’Aménagement du territoire, de l’Agriculture, de l’IFAPME et des Centres de compétences. – Madame et Monsieur les Députés, en ce qui concerne l’ambition qui est la nôtre, notamment la mienne, à propos de la préservation des sols, du territoire, de la résilience, de la préservation face aux enjeux climatiques, de l’adaptation par rapport aux conséquences de ceux-ci, à la suite du débat que l’on vient d’avoir en ce qui concerne le SDT, le schéma multidisciplinaire du bassin de la Vesdre et l’adoption de la BCAE 5, vous conviendrez que je ne suis pas suspect de manque d’agir, de volontarisme et de décisions en la matière. Ensuite, lorsque la BCAE 5 a été approuvée sur base d’un modèle étudié par des expertises, notamment académiques, de très haut niveau, par notre administration, par les organisations syndicales, par moi-même, nous nous sommes mis d’accord sur un schéma. Lorsque ce schéma a été proposé à l’Europe, elle a accepté notre plan stratégique. Dans notre plan stratégique, il y a deux années sans sanctions, c’est clair. Pourquoi deux années sans sanctions ? Ce n’est pas pour le plaisir de dire deux années sans sanctions. Tout qui connaît une ferme – excusez-moi, je connais les fermes – sait que les rotations veulent dire quelque chose. Les têtes de rotations, cela veut dire quelque chose. Le fait de prévoir la prochaine saison culturale, cela veut dire quelque chose. Sans ces deux ans, je n’aurais jamais proposé la BCAE 5 à l’Europe, parce que cela n’avait pas de sens. On ne peut pas dire aux gens de s’adapter, alors qu’il y a des orientations, il y a des choix, et cetera. L’Europe nous a dit – j’ai la notification officielle – : « Écoutez, désolée, on a approuvé votre Plan stratégique, mais il apparaît que ne pas appliquer une sanction administrative en cas de non-respect de la BCAE 5 par les agriculteurs est contraire à l’article 85 du règlement de 2021/2116 et aux articles 9 et 10 du règlement délégué 2022/1172. » Vous convenez que c’est incroyable. L’Europe approuve notre Plan stratégique, puis, alors que l’on est en discussion avec l’Europe par rapport aux délais, par rapport à l’éventuel allongement des délais, l’Europe nous dit qu’elle n’aurait pas dû approuver notre Plan stratégique. On est bien d’accord. L’Europe revient-elle là-dessus ? Pas du tout. L’Europe considère-t-elle qu’elle pourrait accepter qu’il n’y ait pas de sanctions administratives en 2024 ? Pas du tout. L’Europe dit : « Désolée, je n’aurais pas dû approuver votre Plan stratégique. » On est bien d’accord, je ne souhaite pas que les agriculteurs soient doublement victimes de deux éléments : le revirement de l’Europe, et le modèle que nous avons tous accepté, moi y compris – j’assume ma part –, mais les organisations agricoles également. On est allé présenter ce modèle dans un certain nombre de réunions des syndicats agricoles, notre administration, les cellules impliquées, d’autres administrations wallonnes. Entre le modèle qui nous a été présenté, que nous avons débattu et sa modélisation sur le terrain, cela ne va pas. Il y a un grand nombre de situations où cela ne va pas du tout. Ce sont des hérésies dans certains cas. Je suis désolé, entre un modèle et sa traduction sur le terrain qui aboutit à un certain nombre d’incongruités, d’anomalies, voire d’anomalies graves, d’anomalies qui en viennent à impacter la moitié d’une ferme, qui viennent à ce qu’il y ait une toute petite partie des terres qui est en pente, et tout le reste ne pose pas de problème, et que l’on dise : « Non, le principe général fait que peu importe. » Sur le terrain, on voit bien que cela ne va pas. N’importe lequel d’entre vous verrait que cela ne va pas. N’importe lequel d’entre nous comprendra que cela ne va pas. Entendre « Non, je maintiens la carte », je m’inquiète. C’est évident que l’on doit traiter le dossier Érosion avec sérieux, comme je le fais en Aménagement du territoire ou dans d’autres disciplines. Il y a une tendance chez certains à dire que ce sont les agriculteurs qui sont coupables de tout ; je ne suis pas d’accord. Dans certains cas, il y a des problèmes. Je les identifie et je souhaite y apporter une réponse. Dans 27 3 d’autres cas, dire que les agriculteurs sont coupables de tout, alors qu’à l’évidence, c’est l’urbanisation qui a accéléré le phénomène, alors que des équipements ne sont pas là, ou Dieu sait quoi, ou que telle ou telle infrastructure n’a pas été entretenue, relevant des pouvoirs publics, cela ne va pas. Premièrement, je propose, de façon très calme, que l’on puisse tenir compte de la nouvelle situation ainsi créée. Deuxièmement, vous avez utilisé l’expression « à la Procession d’Echternach ». Je ne connais pas la Procession d’Echternach, mais je propose non pas deux pas en arrière, mais un pas en avant différent : un R10/R15 adapté, à travers l’appui des conseillers en érosion et à travers un lien essentiel avec les villes et communes, avec les services communaux qui connaissent bien les situations, qui sont disponibles pour aller nous dire que là, il y a vraiment un problème ou que là, il n’y en a jamais eu, ou encore que là, il n’y a pas d’indice qu’il pourrait y en avoir, et cetera. Avec cela, on a un modèle faisable. De toute façon, la carte est morte. Celui qui n’a pas compris cela, il va s’en rendre compte dans huit jours, dans dix jours, dans un mois, dans deux mois. La carte est morte. Ensuite, il faut un nouveau système, on est bien d’accord. Il faut lutter contre l’érosion, il faut répondre. Par ailleurs, il faut une prévisibilité. Les semis pour l’année prochaine ne se décident pas juste avant la dinde de Noël. On est bien d’accord. Les semis, c’est très bientôt. Le problème est posé. Il est très clair. Il y a un modèle véritablement ambitieux. On pourrait nous demander si la Wallonie ne se met pas à la traîne de l’Europe. À la suite d’un certain nombre d’études pour lesquelles nous avons été documentés, il apparaît que 15 pays d’Europe ont le modèle R10/R15. Notre modèle, ce n’est pas le R10/R15, c’est le R10/R15 amélioré. Nous serons encore dans le peloton de tête des pays européens en termes d’ambition. Si certains veulent tuer l’agriculture, qu’ils le disent alors ; c’est une autre ambition, mais en tout cas pas la mienne. C’est très clair. Veut-on traiter l’érosion, le problème d’écoulement des sédiments ? Bien sûr que l’on doit le traiter. Doit-on mobiliser des ressources pour ce faire ? Bien sûr. Désolé de le dire moi-même, mais il me semble que la proposition sur la table allie volontarisme et pragmatisme. Sincèrement, je n’ai encore croisé personne qui me fasse la démonstration qu’une autre issue est possible. Certains disent d’aller rediscuter avec l’Europe. On a discuté beaucoup avec l’Europe, il faut ceci, il faut cela. Je pense que c’est très clair. Je réponds à votre question en toute transparence. Y a-t-il déjà un accord au Gouvernement ? Pas à ce stade. Je ne vais pas vous raconter des blagues, mais bon, il n’est pas rare que dans un gouvernement, quel qu’il soit, les précédents, les futurs, les fédéraux, les régionaux, les communautaires, en Wallonie ou ailleurs, qu’il y a évidemment des moments de débat sur des matières. Je trouve cela totalement compréhensible. Par contre, à l’analyse du dossier, on le voit bien, la seule issue est celle, me semble-t-il, que je me permets de décrire. J’attire l’attention sur le fait que l’on n’a pas droit à l’aventure dans ce dossier. Les enjeux sont énormes. Chaque jour qui passe, c’est un peu d’aventure en plus. Je veux vraiment être transparent par rapport au Parlement. On est là pour préserver, pour anticiper. Chaque jour est un peu d’aventure. J’aurai prévenu de façon très solennelle.

Réplique

Vous dites vous-même que, pour l’instant, les agriculteurs sont victimes de deux points. Je vous rejoins complètement. D’abord, le refus obtus de la Commission européenne pour une période transitoire, je pense que c’est assez clair, vous n’avez pas répondu à ma question concernant les recours possibles par rapport à cette décision, étant entendu qu’elle avait elle-même, semble- t-il, accepté deux ans. Les agriculteurs sont également victimes des incongruités de la cartographie. C’est une responsabilité de la Région wallonne. Il convient à la Région wallonne et à son administration de mettre tout en œuvre pour que ces incongruités soient réparées, qu’elles donnent aux 3 28 agriculteurs des directives pertinentes. C’est le minimum que l’on demande tous. Je pense que, là- dessus, on doit se rejoindre. Vous n’avez pas répondu non plus à ma question concernant les améliorations précises du système R10/R15. Vous avez parlé d’une concertation avec l’administration – très bien –, avec les pouvoirs locaux. Je ne suis pas sûr qu’ils soient outillés pour avoir un avis à chaque fois éclairé, pertinent sur les cas. Je ne sais pas quelles sont les améliorations que vous prévoyez dans le nouveau système R10/R15, et je trouve que c’est important. Si l’on veut trouver des pistes de compromis, on doit avoir une vue très claire sur ce qui est proposé, ou si ce n’est qu’un simple retour en arrière. Je l’ai dit également, la Commission a déposé une nouvelle pièce législative ce 5 juillet. Je pense qu’elle doit faire partie de l’équation. Cela veut dire que, dans quelques années, on devra revenir à une forme de cartographie. Il ne faut pas non plus mentir aux agriculteurs, leur dire que l’on revient au système R10/R15, qu’ils ont bon et, dans quelques années, faire un retour en arrière à un système multicritères.

Date de la question parlementaire
Ministre
Willy Borsus

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